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Présentation de la thèse

Fabriquer les formations en travail social : sociologie d’un monde social et de ses activités

Si vous souhaitez obtenir le manuscrit complet de mon travail de thèse, vous pouvez cliquer ici. Sinon, j’en propose un résumé à la suite, en égrenant, au fur et à mesure des idées fortes, les différents chapitres en version téléchargeable.

Par cette recherche, j’ambitionne de cartographier les acteurs et leurs négociations, les activités et leurs enchaînements, les espaces‑temps et leurs articulations, à travers lesquels les formations en travail social sont fabriquées et transformées. À côté des approches habituelles qui interrogent la professionnalisation des étudiants, la pédagogie à proprement parler, ou bien le métier du formateur, je questionne les activités quotidiennes qu’il faut mener à bien pour que les dispositifs formatifs prennent leur forme définitive. Ce projet se fonde sur une enquête de terrain de trois années, concentrée sur le fonctionnement d’un Institut Régional du Travail Social, outillée par l’approche interactionniste sur les mondes sociaux et la sociologie de l’acteur‑réseau.

Cette recherche s’inscrit dans un rapport fortement impliqué à l’objet. Je l’ai essentiellement menée de la place de formateur, désir d’orientation qui dépassait ma thématique de thèse. Par ailleurs, mon cadre théorique m’amène à la concevoir comme une activité, à l’instar de celles que j’observe. De ce fait, en symétrie de l’analyse d’un monde social, je propose le récit de mon propre travail et de ses articulations. J’entends donner à voir, à travers divers espaces‑temps, étapes, rencontres et aléas, la manière dont se sont construits, en lien avec ma trajectoire, un questionnement (chapitre 1 et chapitre 2), une projection sur un terrain et leur réalisation (chapitre 3). Je propose ainsi la socio‑histoire d’un objet, non à travers celle d’un champ disciplinaire, mais par mes pratiques concrètes de chercheur.

Dans la fabrique des formations, je montre que les réunions tiennent un rôle fondamental, espaces‑temps qui centralisent les avis de chacun sur le fonctionnement des autres lieux et moments du dispositif, qui les évaluent et se projettent sur ce qu’ils pourraient être (chapitre 4). La parole est leur outil principal pour mettre en scène la formation de manière collective et l’élaborer. Cependant, ces instances sont peu mobilisées pour travailler, en profondeur et intentionnellement, un commun de significations et de pratiques pédagogiques. Tout en rassemblant, elles produisent aussi des cloisonnements entre les acteurs. Du fait des flous qui entourent les mots, sous les apparences d’une entente commune, chacun est souvent renvoyé à sa conception propre de ce que peut et devrait être la formation.

Par ailleurs, cette recherche analyse les usages dont les entités temporelles sont l’objet (chapitre 5). Elle suit l’élaboration d’une nouvelle année de formation dans le cadre d’un processus de réforme. Le temps, ressource et contrainte définies par les textes juridiques, apparaît essentiellement comme une modalité qui rationalise la fabrication du dispositif et structure fondamentalement ce dernier. En réunion, les responsables de filière établissent une première trame en attribuant des quotités de temps (année, semestre, semaine, heure) à des promotions, des intitulés généraux de modules, des thématiques et des modalités pédagogiques qui ne sont pas définis de manière commune et précise. Ainsi, ils produisent des contenants temporels et pédagogiques qui compartimentent la formation, sans réellement dire quoi que ce soit sur la qualité de ce qui devrait s’y passer. Ils quantifient avant de qualifier.

Une logique d’éclatement se construit au fil de la chaîne hiérarchique (chapitre 6). Le flou des mots et la primeur du temps rationalisé se trouvent dès les textes juridiques, ainsi que dans les prescriptions de la direction. Les responsables travaillent dans ce périmètre et selon cette même logique qu’ils transmettent ensuite aux formateurs permanents. À l’intérieur des espaces‑temps thématiques et pédagogiques, et en fonction des responsabilités qui leur sont attribuées (suivi de promotion, ingénierie d’un module, réalisation d’un cours, etc.), ces derniers doivent penser les contenus réels. Si les réunions sont l’occasion de réfléchir les liens, elles ne permettent pas une élaboration collective suffisante, voire cette dernière est empêchée. Chacun est assigné à son territoire pédagogique dans lequel il travaille à construire la part de dispositif qui lui revient. Cette logique d’éclatement se poursuit lorsqu’il est question de transmettre aux intervenants ce qu’ils devront réaliser devant les étudiants. La difficulté à préciser finement ce qui doit être fait et les différences d’expertise gênent l’élaboration commune et renvoient chacun à ce qu’il réussira à produire dans l’entrecroisement de temps, de modalités pédagogiques et de thématiques qui lui reviennent. Il est toujours plus facile de se mettre en accord sur des durées et des mots généraux que sur la qualité de ces éléments.

Ainsi, malgré un désir de collectif et de cohérence très prégnant, la formation s’élabore en différents territoires entre lesquels les liens peinent, notamment dans les instances officielles. Le commun du sens et des pratiques est produit souvent dans l’informel, selon les volontés, les disponibilités et le temps arraché aux tâches urgentes. Seuls quelques espaces parcellaires de cohérence émergent de ce travail.

Finalement, l’absent de ces processus est l’étudiant (chapitre 7). Lorsqu’il arrive dans le dispositif, le seul élément considéré comme inachevé est sa propre personne. Il lui revient la tâche de se construire en tant que professionnel dans l’univers délimité par le formateur. Le rapport de pouvoir entre eux est ainsi caractérisé par l’antériorité du second sur le premier. Le formateur pense ce dont l’apprenant a besoin et le réalise dans un agencement pédagogique que ce dernier devra traverser en réponse aux demandes qui lui sont adressées. Même une fois en co‑présence, seul le formateur est en mesure d’adapter le dispositif. L’étudiant est certes acteur, mais il doit, s’il souhaite être approuvé par l’institution, se maintenir à l’intérieur de la topographie pensée pour lui, selon les savoirs que les formateurs produisent à son égard quotidiennement.

La conclusion passe en coulisse et détaille l’utopie à partir de laquelle le monde social des formations est analysé, ce qui le met en visibilité à travers ses frontières et coupures. Les formations sociales peuvent-elles être pensées en tant que communs (Face B) ?