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Faire terrain

« D’abord, nous affirmions que l’ethnographie représente un moment de vérité pour les sciences sociales, au sens où elle permet d’accéder à une forme spécifique d’intelligence des choses, des personnes et des faits ; et ce moment de vérité se joue non seulement en tant qu’opération d’objectivation, mais également comme travail d’inter‑subjectivation par lequel une relation ethnographique se noue, parfois de manière heureuse, parfois dans le déchirement, toujours cependant comme ce par quoi le savoir arrive. »
(Didier Fassin)

Le désir de terrain

À propos du mot

« Terrain » est un mot dont j’ai usé de manière courante et intensive. Difficile de compter les fois où il a passé mes lèvres pour désigner ce que je faisais, ce qu’il y avait à faire ou bien ce que j’avais déjà réalisé. « Demain, je vais sur mon terrain ! », « Il faut que je m’organise pour le terrain. », « En ce moment, c’est ma période de terrain », « Je relis mes notes de terrain ». Par ce mot et ses utilisations, j’ai signifié la nécessité, pour le chercheur, de « s’immerger » dans une réalité pour l’étudier, ainsi que raconter à mon entourage mon expérience de l’enquête. Et la banalité de son usage portait une multitude d’enjeux pour la réussite de ma thèse. Inutile de dénombrer les fois où j’ai considéré — interrogateur — mon terrain, afin de savoir si j’avais choisi les bonnes orientations et mis en place d’intelligentes méthodes afin d’en tirer le nécessaire. Avais‑je rencontré les bonnes personnes ? Avais‑je pris note des bonnes observations ? Allais‑je réussir à produire des analyses intéressantes à partir de mon enquête ? Serais‑je dans les temps ? Le terrain était‑il suffisant ?

L’immersion est souvent un moment à part entière, une période forte des recherches que l’on prépare, que l’on vit intensément pendant, et qui constitue la base de notre travail par la suite. Étape décisive, c’est à ce moment que se mettent en place un ensemble d’éléments qui compteront grandement pour la suite. Son enjeu est simplement la réussite d’un travail de recherche.

Néanmoins, je — et par extension, les chercheurs — ne suis pas le seul à utiliser ce mot. Lorsque j’arpente les formations sociales, c’est une expression que j’entends continuellement. Les formateurs, comme les étudiants, le prononcent tout autant pour qualifier ce qui les préoccupent : « Professionnels de terrain », « terrain professionnel », « déconnecté du terrain », « on va enfin sur le terrain », etc. Les occasions où ces deux syllabes sortent de la bouche de quelqu’un sont nombreuses. Et ce d’autant plus si l’on considère certaines tournures quasi‑synonymes lorsque prononcées par des travailleurs sociaux et des formateurs : « réalités professionnelles », « pratique », « concret ». Je les utiliserai par la suite de manière interchangeable.

Finalement, qu’est‑ce que le terrain ? Ma réflexion à ce sujet a commencé avec l’apprentissage de la sociologie. La version des sciences sociales qui nous était proposée en master 1 impliquait une contribution à la transformation de la société. Cette version du sociologue était donc immergée sur le terrain, comme participant grandement impliqué et non, seulement, en tant qu’observateur périphérique. De ce fait, dès le départ, mon regard portait principalement sur ce que le sociologue pouvait apporter. Je voyais sa présence essentiellement comme une contribution et non, comme un risque de perturbation ou de biais. D’ailleurs, dans cette perspective, les troubles pouvaient servir d’outils méthodologiques pour découvrir le monde social et y participer [1]Sur cette problématisation de la perturbation, ma première source d’inspiration est l’analyse institutionnelle et sa notion d’analyseur : Christine Gilon et Patrice Ville, Les arcanes du … lire la note.

Puis ma réflexion sur le travail de terrain s’est approfondie à travers trois sources convergentes, chacune apportant son lot de nouvelles idées. Pour la sociologie de l’acteur‑réseau, le chercheur s’associe avec la réalité à travers un dispositif sociotechnique (le laboratoire pour les sciences dures) dont l’enjeu est de la faire parler le réel. La science est donc la création d’artifices permettant de révéler le monde. De son côté, Pascal Nicolas‑Le Strat, dans une perspective de transformation sociale, conçoit le rôle de la recherche dans une approche similaire. La science sociale est une pratique, ainsi qu’un moment et un aspect potentiels des expérimentations sociales et politiques qui leur permettent de se révéler, de s’actualiser dans une certaine perspective pour produire des savoirs sur l’action et pour l’action. La recherche se greffe, s’ajoute, habite au cœur d’une expérimentation de manière à l’aider à penser le passé, le présent et le futur [2]J’ai développé ces idées dans Sébastien Joffres, « Les sciences sociales au travail du commun. Le savant fait politique », Rusca TTSD, 2016, no 9, p. 94‑106.. Quant à moi, en considérant l’usage du mot « terrain » dans les formations sociales, j’ai réfléchi que ce que l’on désigne comme tel n’est pas tant une réalité dans laquelle on s’immerge qu’un rapport que l’on établit à un univers professionnel, qui permet de l’expérimenter d’une certaine manière, de le soumettre à certaines épreuves et d’être soumis nous‑même, par la réalité, à certaines épreuves [3]Je dois cette piste de réflexion à une communication de Pierre‑Alain Guyot dans le cadre du séminaire Fabriques de sociologie à Montpellier. Il partait de l’idée que le terrain, dans les … lire la note. Ainsi, de l’idée d’un chercheur participant4 à la réalité, je me suis décalé vers une focale plus large, réfléchissant le rapport que la recherche établit à la réalité, à travers son outillage méthodologique.

Pour la première partie de ce chapitre, je vais entrer dans le détail de ces analyses. Mon propos s’ouvre sur présentation de la notion de terrain dans les formations sociales. Ensuite, je ferai le récit de la mise en place de mon enquête. La symétrie qui s’établira ainsi, entre les travailleurs sociaux et ma pratique scientifique, est intéressante à considérer. D’une part, ce rapprochement offre des exemples pertinents pour poser l’idée d’un rapport à la réalité, plutôt que celle de l’immersion. Cette perspective est productive pour la science, mais constitue aussi les premiers pas de l’analyse de la fabrication des formations sociales. D’autre part, en transformant ainsi « le terrain » en objet d’analyse, commun à deux univers, j’ouvre la possibilité d’étudier mes pratiques de recherche de la même manière que les pratiques de fabrication de la formation. Je construis une symétrie, ainsi qu’une continuité. Pour comprendre comment les centres de formation font exister le terrain, se mettent en rapport à la réalité, je dois me mettre, moi‑même en lien avec cette réalité. Ma recherche devient alors une partie du monde à explorer, en même temps qu’elle me permet de le faire. Elle doit donc être présentée et analysée. Ce que je ferais en présentant les différents sites de fabrication de cette thèse.

… des étudiants

À quoi bon donner des exemples « concrets » dans un cours de droit ? Pour quelles raisons favoriser des temps de travaux dirigés où les étudiants pourront mettre en scène par le théâtre‑forum des expériences vécues durant leurs stages, plutôt que de se limiter à de simples cours magistraux ? Comment expliquer que les étudiants pestent souvent contre certains formateurs qui auraient un discours « trop théorique » ? Ces questions trouvent réponse dans une des caractéristiques fondamentales des formations analysées. Les étudiants en travail social réclament du « terrain ». Que ce soit sous la forme de stages, d’interventions de professionnels « de terrain » ou d’exemples « issus de la pratique » illustrant des propos scientifiques, ils aspirent « au terrain ». Ils espèrent que la formation leur permette de vivre et de voir des choses, de comprendre des mécanismes et de développer des aptitudes qui seront reconnues comme relevant de la réalité professionnelle à laquelle ils se destinent. Ce désir indique qu’ils ne sont pas en formation pour apprendre et développer des compétences, mais pour apprendre et développer des compétencesliées à une sphère du monde, à une réalité concrète, vécue par d’autres professionnels au quotidien. Ils sont ici pour apprendre à faire ce que l’on fait lorsque l’on est « sur le terrain » en tant que professionnel d’une profession donnée. Dit avec les mots de la sociologie, ils espèrent se socialiser à un univers précis. Dit à travers la sociologie de l’acteur-réseau (abrégée SAR par la suite), ils souhaitent s’associer, de manière adaptée et par divers apprentissages, à une nouvelle sphère de vie.

Cette aspiration s’observe tout au long de la formation tant dans le plaisir dont ils font part à être « sur le terrain » ou à en entendre parler, qu’à la déception qu’ils expriment lorsqu’ils n’y sont pas, pas assez ou qu’ils ont en face d’eux des personnes qu’ils sentent « trop éloignées » du terrain. L’approche des départs en stage, de même que les temps de retours, sont des périodes où cette attente s’exprime fortement : « Vivement qu’on retourne sur le terrain ! », « Difficile de revenir en formation… En stage, on est vraiment dans le métier. » Si les étudiants ont d’autres attentes et s’ils peuvent apprécier un cours sans nécessairement voir son lien direct avec la réalité professionnelle, elle reste néanmoins la plus importante. S’il fallait dresser une hiérarchie des désirs, il serait possible de dire que l’envie du « terrain » est celle qui polarise ou soumet les autres.

… des formateurs permanents

Pour les formateurs permanents, cette dimension est aussi fondamentale. Leur but est que le dispositif « confronte » les étudiants « au terrain » que cela soit par les stages ou les temps dans les établissements de formation en travail social (abrégés EFTS par la suite). Les stages sont une évidence dans leur capacité à former et permettre la confrontation aux réalités professionnelles. Les étudiants doivent passer du temps dans une structure, généralement aux côtés d’un professionnel du même métier, ou d’une équipe pluridisciplinaire qui relève de l’intervention sociale, afin de vivre leur réalité future de la place à laquelle ils se destinent. Ces expériences sont pensées comme une immersion dans la réalité et de ce fait comme — presque — nécessairement formatives. Ce modèle de formation sur le terrain est historique et fondamental pour ce secteur.

Depuis quelques années, les établissements rencontrent des difficultés pour trouver des stages — tels que définis ci‑dessus — à tous les étudiants. Face à cette pénurie nationale, s’expliquant par plusieurs facteurs, les EFTS cherchent — et les orientations étatiques les ont rejoints en ce sens5 — à trouver de nouvelles formes pour contourner le manque. Est mise en place, par exemple, une étude collective d’un territoire sur le motif de l’enquête ethnographique, pour remplacer le stage classique de première année. Ou encore, il peut être envisagé, dans le cadre de stages collectifs, que des groupes d’étudiants répondent à des commandes d’institutions sociales comme travailler sur l’adaptation de la charte de la personne accueillie à destination des enfants de moins de douze ans dans une MECS. Ces nouvelles perspectives soulèvent des interrogations chez les formateurs. Ne passe‑t‑on pas à côté du cœur de métier ? Est‑ce formatif ? Face à ces missions, les étudiants seront‑ils égaux dans la possibilité de formation ? Il est possible de comprendre ces questionnements en considérant qu’ils manifestent la crainte que la formation ne mette pas, suffisamment ou réellement, les étudiants sur le terrain. Ils témoignent de l’importance pour les formateurs de l’immersion des étudiants dans une réalité professionnelle.

L’autre enjeu, tout aussi central et qui constitue leur quotidien, est de faire en sorte que le terrain vienne dans les centres de formation. Ils travaillent à ce que les différents espaces‑temps aient un lien avec les réalités professionnelles. Cet objectif se construit par plusieurs matériaux. Il est d’abord question de trouver les thématiques pertinentes pour les métiers et celles qui sont d’actualité. Il est ensuite important de les présenter aux étudiants d’une manière qui les accroche et qui leur permette de comprendre le lien entre ce qui se vit ici et ce qui se passe là‑bas, sur le terrain. Cet enjeu demande de penser les formes pédagogiques, mais aussi les personnes capables de les animer et de dire quelque chose du monde professionnel. Et il faut ensuite proposer des modalités d’examen qui permettent, non de contrôler des acquisitions de connaissances, mais la mise au travail des étudiants autour de questions qui les mobilisent en tant que futurs professionnels. De plus, plusieurs espaces spécifiquement dédiés à la réflexivité sur les expériences de stage doivent amener les étudiants à tisser des réflexions entre le terrain et les savoirs appris dans le centre de formation.

Cet effort se résume à travers la thématique du lien6. Le centre de formation doit réussir à établir des liens entre le terrain et ce qui est dit et fait dans ses murs, que ces relations soient faites par les formateurs qui les incarnent (un professionnel de terrain qui vient parler de sa pratique) ou les exposent (un sociologue qui essaie de choisir des exemples parlants), ou par les étudiants qui, activement, tissent des réflexions entre ce qu’ils entendent dans les différents cours et ce qu’ils ont vécu « sur le terrain ». Cette question du lien fonctionne avec la dimension réflexive des formations sociales. Pour qu’il se fasse, l’étudiant doit réfléchir et revenir sur sa pratique. Cours et mise en réflexivité accompagnent la présence sur le terrain qui, si elle est vue comme — presque — nécessairement formative, n’est pas conçue, du moins par les formateurs, comme suffisante à elle seule7.

L’enjeu de faire exister le terrain dans les murs suscite une inquiétude récurrente de la part des formateurs. Elle se perçoit dans un travail constant d’évaluation de la nature « réaliste » des cours. Il y a, par exemple, des rappels réguliers quant à la nécessité que ces derniers ne soient pas « de la pure théorie » ou « trop théoriques ». Ou encore, pour certains modules, il est mis en avant qu’ils sont « vraiment » basés sur des questions professionnelles, comme s’ils apportaient un supplément de réalité au dispositif en étant plus axés que les autres sur des problématiques issues du terrain. Ainsi, certains échanges entre formateurs prennent des tournures superlatives pour qualifier le lien au terrain, de peur que l’énoncé simple du contenu ne soit pas suffisant ou paraisse trop irréel.

Effet de réalité/effet de vérité

Jusqu’à présent, j’ai introduit l’importance du terrain dans les formations sans définir le terme. Et pour cause, malgré son caractère fondamental et son usage constant, il ne l’est jamais vraiment. Il fait partie de ces entités qui font évidence pour tout le monde sans avoir besoin d’être précisées. Si l’on définit les usagers, si l’on spécifie les lois, si l’on caractérise telle ou telle avancée historique, on ne définit pas « le terrain ». En creux des propos de chacun, la notion désigne simplement la réalité « vraie », là où les choses importantes se passent.

Les étudiants réclament d’être confrontés au réel, d’en parler, d’apprendre sur lui. Et le premier critère important est de sentir que là, dans telle ou telle situation, on a été confronté, réellement, à la vraie réalité (les redondances sont voulues). Dans cette perspective, « Être du terrain », « être sur le terrain » veut dire : être dans le réel, vivre la réalité et surtout, ressentir que c’est bien le cas. La réalité de la formation s’appréhende sur un mode sensible. Si les scientifiques jugent du lien entre les observations qu’ils produisent et le réel, à travers la distinction faits/artefacts, les étudiants et formateurs font de même, à travers des procédures principalement informelles et inconscientes, qui analysent l’effet de réalité qu’offre, ou non, la formation.

Et le fait que l’évaluation se fasse au niveau de cet effet implique des paradoxes. Que fait un sociologue lorsqu’il expose la notion de « matrice patriarcale »8 pour expliquer la structuration des rapports de genre en Occident ? Il prétend parler de la réalité et donc, nécessairement, du terrain9. Et probablement que la majorité des étudiants seront d’accord pour dire que ce que raconte le sociologue est vrai ou plausible. Mais, ce discours « vrai » ne sera pas pour autant frappé du sceau de « l’effet de réalité ». Il se peut que l’on dise de lui qu’il est « trop théorique » ou « pas assez concret » : c’est‑à‑dire « trop éloigné du terrain ». Bien qu’acceptée comme potentiellement vraie, la théorie manque régulièrement son objectif et « ment » : elle ne parle pas du monde aux étudiants ou parle d’un autre monde. Elle se perd en mots et en formulations. Elle peut dire vrai, mais ne pas donner à ressentir qu’elle dit la réalité. Ainsi, si la théorie a réussi, face à d’autres publics, à se faire reconnaître comme parlant de la réalité (pour les scientifiques par exemple), lorsqu’elle arrive dans le champ du social, bien souvent, elle se trouve être disqualifiée, toujours en rapport à ce réel.

Lorsque je parle d’effet de réalité, il n’est donc pas question de l’essence absolue des choses qui seraient ressentie ; je suppose plutôt des ontologies multiples10, différents ordres de grandeur et outils11 pour mesurer le lien au réel d’une situation. L’effet de réalité est un jugement.

De l’immersion au rapport

La formation en alternance est structurée en deux espaces‑temps principaux : le centre de formation et les stages. Ils ne sont pas du même ordre. Durant les stages, les étudiants sont « sur le terrain12 » — au cœur du métier —, dans le centre de formation, ils travaillent sur leur expérience et sur de la théorie. Ils ne sont plus sur le terrain, mais sur du discours et du vécu issus de ce terrain, espérant que cela produise l’effet de réalité. Ils travaillent alors à établir des liens entre les deux lieux. Ainsi, le « vrai » terrain est dehors et l’expérience ultime qu’une personne peut en faire est celle de l’immersion : elle se plonge, par le biais de stages, dans cette réalité qui sera la sienne dans le futur. Sous cet angle, la réalité apparaît comme un lieu ou bien un contenant et un contenu dans lesquels l’étudiant pénètre. Là, il expérimentera, par son action, la vérité de ce lieu/contenu/contenant.

Tentons maintenant de nous décaler. La forme classique des stages apparaît comme l’immersion et le terrain par excellence. Cependant, et sans que cela ne remette en cause cette modalité dans sa pertinence et son évidence aux yeux des acteurs, régulièrement des accrocs amènent le doute quant à la qualité du terrain sur le plan formatif. Chaque année, des étudiants sont mis à l’écart de l’activité des lieux de stage ou bien, au contraire, sont placés trop au cœur de celle‑ci comme s’ils étaient des professionnels accomplis. Dire quand l’un d’eux est dans cette situation n’est pas évident. Les formateurs peuvent considérer qu’il en est ainsi et l’étudiant en être tout à fait satisfait de sa position. Toujours est‑il que ces appréciations laissent à penser qu’il existe une gamme de places justes, accordées aux étudiants et qu’aux deux extrémités du continuum, l’espace qui leur est ménagé est problématique, car il gêne la formation. Il empêche soit une confrontation suffisante à l’activité, soit le recul nécessaire pour prendre le temps de se former et réfléchir aux transformations vécues.

L’autre facteur important de l’évaluation des stages pour les formateurs est la seconde face de la pièce, à savoir l’implication de l’étudiant à la place qui lui est proposée. A‑t‑il adopté la bonne attitude pour se former ? Est‑il suffisamment impliqué et donc proactif pour être force de proposition et s’engager dans le travail ? Et malgré son implication, réussit‑il à prendre suffisamment de distance pour penser son activité ? À nouveau, ces jugements n’ont pas de règles claires, mais montrent qu’en plus « d’être sur le terrain », il faut que l’étudiant le soit dans un certain état d’esprit qui implique à la fois la négociation d’une place et son investissement.

Par ailleurs, les nouvelles modalités de stage en cours d’invention suscitent plusieurs questions qui me permettent de poursuivre ma réflexion. Sont‑elles susceptibles de faire terrain pour les étudiants ? L’étudiant ne passera‑t‑il pas à côté du cœur de son métier si ces nouvelles modalités peinent à rendre visible la relation à l’usager ? Si elles sont centrées sur des projets, n’est‑il pas en risque de n’être qu’un technicien ? Le terrain apparaît à nouveau compromis, en suspens, à cheval entre existence et inexistence.

Ces considérations amènent à douter du motif de l’immersion, car elles témoignent qu’il ne suffit pas d’être présent dans un lieu que l’on nomme terrain pour que l’expérience soit suffisante pour la formation. Il me semble plus probant de considérer qu’« être sur le terrain » est l’établissement de relations avec un milieu, liens qui déterminent l’expérience que l’on en fait. Ainsi, l’étudiant ne s’immerge pas dans une matière appelée réalité. Il prend place dans des relations qui font émerger une certaine expérience du réel. Ces relations peuvent être problématique et entraîner une expérience qui ne conviendra pas.

Cette perspective de redéfinition du terrain porte aussi sur des situations en dehors du champ des formations sociales. Je peux citer une discussion avec une psychologue exerçant en institution. Elle me disait être « moins sur le terrain que les éducateurs ». Si l’on pense le terrain comme un contenant et un contenu alors, cette affirmation est aberrante. En quoi une cloison séparant le bureau d’un éducateur et d’une psychologue ferait que l’un serait plus sur le terrain que l’autre ? Ce n’est qu’en réfléchissant en termes de places ou de rapports à la réalité qu’un tel propos peut être compréhensible. C’est parce qu’elle a une place différente de l’éducateur, en référence à quelques normes obscures précisant le plus et le moins, qu’elle est en mesure de porter ce jugement sur son travail.

Pour conclure, il est intéressant de noter que ce décalage permet d’aborder les stages et les cours sur un pied d’égalité. Dans les deux cas, il est question de l’établissement de liens dont l’enjeu est de produire l’effet de réalité. C’est dans un second temps qu’il faut les distinguer pour voir en quoi ils constituent des rapports au réel différents l’un de l’autre. De manière plus générale, cette hypothèse m’amène à définir les formations sociales comme « dispositifs à présenter le réel » à des personnes. Le terrain, la réalité ne sont pas des entités dans lesquelles l’étudiant se plonge naturellement ou qu’il découvre. Ce sont les produits de l’établissement de liens qui en permettent une certaine expérience. Ainsi, tout comme la sociologie des sciences étudie la manière dont des scientifiques essaient de faire parler la nature à travers des protocoles inventifs13, la formation peut être vue comme un dispositif visant à faire parler le terrain sous diverses formes, tout en s’assurant que l’étudiant jugera ce qui lui est présenté comme relevant bien du réel auquel il aspire, qu’il se l’appropriera et se transformera à son contact.

Faire terrain

La recherche, c’est produire et transporter le monde

Dans Le « pédofil » de Boa Vista – montage photo-philosophique14, Latour relate l’expédition de plusieurs chercheurs (botanistes, pédologues, géomorphologues) qui tentent de déterminer qui, de la savane ou de la forêt amazonienne, gagne du terrain sur l’autre. L’intérêt du sociologue, philosophe par moment, est de comprendre le travail de la référence scientifique. Son texte suit toutes les étapes qui permettent de transformer cette jonction forêt/savane, faite de terre et de branches, en un objet scientifique en mesure de quitter le Brésil, pour rejoindre des laboratoires et, ensuite, la communauté scientifique internationale par le biais de revues, de manière à établir les transformations qui affectent le biotope amazonien. Face à cet imbroglio de nature et d’éléments géologiques, le sociologue met en scène des chercheurs qui ordonnent la réalité de manière à la rendre appréhendable pour un cerveau humain, qui plus est, scientifique.

L’entrelacement de branches, le bruit de la forêt, les troncs à foison, l’étendue du sol sont captés par des parcellisations millimétrées. Les scientifiques quadrillent la forêt avec du fil qui permet de matérialiser un repérage orthonormé, offrant aux chercheurs de situer, dans cette nouvelle forêt‑repère, les actions ultérieures.

Des prélèvements de sol sont ensuite faits dans cette matrice de fils qui permet, par abstraction, une matrice écrite et chiffrée, produite au fur et à mesure. Sur chacune des mottes soustraites au sol, des premiers constats qualitatifs sont énoncés par les spécialistes, puis consignés. Mais ils devront les emmener ailleurs pour approfondir les analyses. D’autres prélèvements, moins profonds, sont faits, eux aussi localisés dans la trame de fils et, ensuite, mis dans de petits contenants de carton. Chacun de ces récipients est ensuite placé dans une même boîte, selon un ordre logique, suivant leur lieu de prélèvement dans le repère orthonormé. Cette boîte est le pédo‑comparateur. Il rend possible pour les scientifiques d’embrasser la transition forêt‑savane d’un seul coup d’œil, sorte de schéma mi‑abstrait/mi‑concret. Chaque motte de terre est aussi transposée en codes‑couleurs à l’aide de la classification Munsel, matérialisée par un nuancier en papier, dont le support a été modifié par les scientifiques pour servir au mieux l’expédition. De même, les spécialistes notent de premières appréciations sur la texture de chaque motte.

La forêt repart ainsi du Brésil sous la forme d’un pédocomparateur, de mottes, de notes, d’échantillons de la flore, etc. L’ensemble de ces opérations permet à la jonction forêt‑savane d’être déplacée, traduite, dans le but d’être comprise. Chacune des étapes transforme la forêt. Chaque phase lui fait perdre en singularité et en complexité. Elle lui apporte ainsi la possibilité d’être mesurée, comparée et schématisée. Elle gagne une autre forme de complexité – scientifique – pour résoudre la question de son évolution.

Latour utilise cette enquête sur les chaînes de traduction pour remettre en cause l’approche philosophique classique qui place d’un côté le réel et de l’autre le langage avec, entre, un mur de séparation. Et il pose la question de la possibilité du parler vrai. Pour le sociologue, langage et réel ne sont pas séparés. Il faut plutôt appréhender une succession de traductions dans lesquelles le réel est transformé et ainsi compris. Si un seul de ces maillons se rompt, si les bocaux contenant les lombrics en partance pour la France se brisent, alors les chercheurs ne pourront plus parler de la forêt car la chaîne qui les relie à elle sera rompue.

Ce paragraphe résume avec force la manière dont le sociologue tente de saisir le travail de référence scientifique :

« Ce diagramme que René tient dans sa main est‑il plus abstrait ou plus concret que les étapes précédentes ? Plus abstrait, puisqu’une fraction infime de la situation se trouve ici conservée ; plus concret, puisque nous saisissons dans nos mains, sous nos yeux, l’essence de la transition résumée en quelques lignes. Le diagramme est‑il une construction, une découverte, une invention ou une convention ? Les quatre, comme toujours. Il est construit par le labeur de cinq personnes et par le feuilletage des constructions géométriques successives ; il découvre une forme cachée jusqu’ici mais dont nous ressentons rétrospectivement la sempiternelle présence, tout en sachant très bien que nous l’avons inventée – comme on dit d’un trésor – et que sans nous, pédologues, jamais elle ne serait apparue ; en même temps, nous le savons aussi, sans le codage conventionnel des jugements, des formes, des étiquettes, et des mots, nous ne pourrions voir dans ce diagramme extrait de la terre que des gribouillis informes15. »

Latour montre par cette étude que la recherche développe des moyens pour se mettre en rapport avec le monde et le transporter de la même manière que les dispositifs de formation cherchent à faire exister le terrain pour les étudiants. Le chercheur n’est pas en immersion dans la réalité, tout comme les étudiants ne le sont pas durant le stage. En tout cas, ce n’est pas une immersion immédiate : elle passe par la médiation d’un dispositif qui affecte cette réalité et son vécu. Le terrain n’existe que parce que le chercheur s’en donne les moyens et qu’il le transporte ensuite de manière à le faire vivre dans des écrits16.

Seules les entités que nous arrivons à capturer par diverses associations peuvent être comprises. Et cette compréhension passe nécessairement par une action sur ce monde. L’ANT ne s’inquiète pas que le chercheur perturbe la réalité qu’il observe. Les spécialistes ont, par exemple, quadrillé cette forêt et l’ont transformée en dessins et mottes de terre. La question est plutôt de réaliser des transformations qui permettent de réduire le bruit, de rendre appréhendable la réalité que l’on souhaite comprendre.

Latour termine le récit de cette expédition par les propos suivants, hautement représentatifs de sa démarche :

« Enfin l’air conditionné ! Enfin une pièce qui ressemble un peu plus à un laboratoire. Nous sommes à Manaus, à l’INPA, dans une ancienne salle de travaux pratiques transformée en bureau. Sur le mur, la carte de l’Amazonie par Radambrazil et le tableau de Mendeleiev. Des tirés‑à‑part, des dossiers, des diapositives, des cantines, des sacs, des bidons d’essence, un moteur hors‑bord. Armand rédige sur son ordinateur portable la version finale de notre rapport en fumant une cigarette. La transition forêt‑savane de Boa Vista continue ses transformations. Rapport transcrit sur une machine, elle va maintenant circuler par fax, disquette ou courrier électronique précédant, sur les ondes, les lourdes valises de terre et de lombrics qui vont subir, dans les différents laboratoires sélectionnés par nos pédologues, une série de nouvelles épreuves dont les résultats, en retour, vont venir épaissir de notes et de dossiers le bureau d’Armand, lui permettant d’appuyer sa nouvelle demande grâce à laquelle il va pouvoir retourner sur le terrain. Ronde infinie du crédit scientifique, dont chaque passage absorbe davantage l’Amazonie dans la pédologie, et dont le mouvement ne saurait être figé sans perdre aussitôt sa signification17. »

En fin de texte, l’auteur évalue son propre travail et écrit :

« Moi aussi, sur mon ordinateur portable, j’écris mon rapport en fumant un cigare, sur un bureau encombré de livres, de dossiers, de diapositives, devant l’immense carte du bassin amazonien. Moi aussi, à Paris, j’étends le réseau de la transition forêt‑savane puisqu’il circule maintenant, grâce à moi, jusque chez les philosophes et les sociologues18. »

À sa suite, concernant mon travail, je pourrais dire : « Moi aussi, à Montpellier j’étends le réseau des formations sociales puisqu’il devrait circuler un peu plus, grâce à moi, jusque chez les sociologues. » Par cette phrase, Latour nous indique la possibilité de considérer la science sociale dans la même perspective. Elle revient à la construction d’un attachement au monde qui en permet la compréhension et la circulation ailleurs que sur le terrain d’enquête.

Et à peine cette perspective posée, Latour la minore :

« Et pourtant, cette portion de réseau que je construis n’est pas faite de références mais d’allusions et d’illustrations. Mes schémas ne sont ni des diagrammes ni des cartes. Mes photos19 ne transportent pas ce dont je parle comme les inscriptions d’Armand le sol de Boa Vista. Mon texte de philosophie empirique ne re‑représente pas ses preuves à la manière de mes amis pédologues. La traçabilité de mes propos n’est pas si bonne qu’elle permettrait au lecteur de retourner sur le terrain. Légendes d’images, mon texte final ne saurait résumer la chose même dont elles parlent20. »

Ainsi, Latour considère qu’il trace un réseau, un attachement entre Boa‑Vista et la sociologie, en même temps qu’il critique la force du lien entre le terrain et son propos.

La portée constituante de la sociologie

Je trouve des idées similaires chez Pascal Nicolas‑Le Strat bien que sur un terrain radicalement différent de la sociologie en apparence apolitique de Latour. En effet, lorsque l’auteur écrit sur le travail du commun, il ne le fait pas en tant que chercheur observant à distance mais en tant que citoyen‑chercheur‑impliqué qui réfléchit et appelle, avec exigence et passion21, ce projet de société.

En antériorité, et en parallèle, de son travail sur le commun, il a développé tout un propos sur la manière dont la sociologie, et par extension les sciences sociales, peuvent et doivent participer à la construction d’alternatives. Ce faisant, il inscrit sa pratique de la recherche dans le cadre de ce qu’il appelle « expérimentations » à la suite de Dubost et Lévy :

« [les expérimentations sont] des actions ou des expériences concrètes, qui se veulent innovantes, prospectives (communautés, groupes autogérés…) et qui constituent en elles‑mêmes une forme de recherche, une recherche en acte […]. Elles constituent des recherches non seulement parce qu’elles mettent à l’épreuve des idées ou des utopies, mais aussi parce qu’elles s’accompagnent d’une réflexion et d’une analyse, menées au fur et à mesure par leurs auteurs ou promoteurs (carnets de notes, échanges plus ou moins organisés, comptes rendus écrits… ) pour mieux comprendre les conditions et les limites de leurs expériences et éventuellement pour les faire connaître22. »

Dans cette optique, le chercheur prend part au projet de constitution d’un commun. Il le fait en tant que personne concernée, avec son expérience d’individu et, entre autres, avec ses outils et pratiques de chercheur. L’objectif est que la recherche s’intègre comme activité dans l’écosystème de l’expérimentation et qu’elle soit un outil de connaissance et de transformation.

Pour comprendre cette nécessité, il est important de saisir ce que fait la recherche. Elle est créative23. Comme tout chercheur, Pascal Nicolas‑Le Strat considère que la présence du sociologue perturbe. Mais à l’injonction faite de contrôler les biais, il répond que la présence du chercheur compte et que les perturbations qu’elle entraîne doivent être la force de son travail. Il est un créateur d’agencements24 qui permettent à la réalité de s’actualiser, tout comme le microscope offre à des tissus d’être rendus visibles pour l’homme, en agissant sur eux par le biais de révélateurs et de lentilles. La réalité se met en scène dans le cadre offert par le dispositif de recherche. Il faut donc que le collectif, porteur de l’expérimentation, et le chercheur pensent avec intelligence le dispositif pour qu’il mette en visibilité la réalité en fonction de ce qu’ils espèrent percevoir, comprendre et de ce sur quoi ils souhaitent agir. La perturbation est un outil et non le drame du scientifique.

Pour l’auteur, ce processus n’est pas simplement une dynamique de révélation, où la réalité apparaîtrait telle quelle est. En fait, la mise en vue est toujours une transformation. L’écologie de l’expérimentation est actualisée par la recherche, elle se constitue à travers elle. C’est‑à‑dire que la réalité se recrée, existe à nouveaux frais pour les objectifs de connaissance et d’action. La recherche participe à constituer la réalité de l’expérimentation sous un nouvel angle de vue, avec de nouveaux mots, en offrant de nouvelles possibilités, de la même manière que le quadrillage de la forêt la transforme pour la connaître.

Cela crée un espace de pensée et de travail dans la réalité – il est inséré dans le quotidien de l’expérimentation – et sur la réalité – il vise à agir sur elle. Voir, dire et lire25 à nouveaux frais cette réalité en tension entre un présent et un devenir, un réalisé et un désirable qu’est l’expérimentation, est un des objectifs de la recherche. Elle entraîne un décalage pour mieux saisir les enjeux politiques et sociaux afférents et pour voir ce qui est produit. Il est à la fois question de penser l’existant, mais aussi de poser des hypothèses sur le possible. Et encore, penser l’existant ne pose pas une vérité, une explication, mais propose des centres de perspectives en espérant qu’ils soient opérants, qu’ils affecteront l’expérimentation en reconfigurant le voir, le dire et le lire des acteurs (le partage du sensible). La recherche constitue au sens fort. Elle permet à l’expérimentation d’exister dans un nouvel espace et de nouveaux processus.

Il en découle que dans la recherche‑expérimentation, le savoir n’est pas « à côté » de l’action, mais a à voir avec elle et je suis même tenté de dire « est une action » qui a pour but de reconfigurer le pensable et le possible ; il construit le pouvoir d’agir des acteurs et offre de l’éprouver. Ce projet de connaissance n’est pas « à côté » de l’expérimentation, espace de réflexivité, où le chercheur accompagne un processus de pensée dont les autres acteurs seraient responsables du réinvestissement dans l’action. Il est pleinement dedans en tant que partie prenante, en tant que dimension et mode d’existence de celle‑ci. De manière concrète, les dispositifs peuvent être des espaces‑temps à part, mais pensés de manière à ce qu’ils puissent communiquer avec les autres parties de l’expérimentation. Le chercheur peut par exemple mener des entretiens sur l’histoire de vie et faire un retour sur ces entretiens. Ils peuvent aussi être des dispositifs couplés à des activités ne relevant pas strictement de la recherche. Par exemple, lorsque le chercheur introduit un concept dans une réunion pour tenter de qualifier la réalité, cet apport peut rebattre les cartes du voir, du dire et du lire.

Si la recherche est pleinement affirmée comme contributive, elle ne se suffit pas à elle‑même pour faire l’expérimentation. Elle s’insère à côté d’autres dynamiques (les relations interpersonnelles, la relation avec les institutions, les temps de travail…) et d’autres éléments (environnement, espaces, matériel, etc.). Le chercheur doit donc se préoccuper de ce que fait la recherche à la situation, de comment elle s’articule et affecte. Il n’est pas en charge de la recherche, de son côté, en parallèle du reste. Il travaille à ce qu’elle ait sa place dans le quotidien de l’expérimentation, au même titre que d’autres aspects. Le chercheur est conscient que le processus de pensée, seul, n’affecte pas l’expérimentation. C’est parce qu’il s’articule aux autres dimensions des initiatives et aux autres acteurs qu’il contribue aux transformations. La démarche scientifique apporte, mais sans aucun automatisme, ni évidence. C’est à travers l’activité de chacun qu’elle pourra éventuellement s’inscrire dans les productions visées.

Le terrain comme construction

Ces deux auteurs m’autorisent à transposer, le propos précédemment développé quant aux formations sociales, vis‑à‑vis de la recherche. Le chercheur n’est pas en immersion dans un contenant qui serait la réalité, dans un face‑à‑face direct avec le monde. De même, il n’en réalise pas des prélèvements, au sens où il en soutirerait des bouts qui resteraient la réalité telle quelle. Est‑il nécessaire de rappeler que même la médecine, lorsqu’elle réalise une biopsie, une prise de sang ou qu’elle regarde le corps entier pour une radiographie, ne se met pas nue face à la nature, mais utilise des révélateurs, des rayons, des lentilles, des milieux stériles, etc. ? En bref, un ensemble d’acteurs qui transforment le corps pour le rendre compréhensible en l’isolant et le recomposant26 sont mobilisés. De même, le sociologue n’est pas en immersion mais cherche à s’attacher à la réalité pour la rendre compréhensible et ce faisant, il la transforme, qu’il le veuille ou non, que cela soit pour la comprendre ou pour réaliser un projet politique. Ces transformations portent à la fois sur la version scientifique de la réalité (Latour) et celle quotidiennement vécue (Nicolas‑Le Strat).

Il est intéressant de noter que tous les chercheurs acceptent l’idée qu’ils perturbent la réalité qu’ils observent. Cependant, alors que Bruno Latour et Pascal Nicolas‑Le Strat présentent ce fait comme le moteur de la science, misant sur les dispositifs pertinent pour transformer la réalité de manière voulue, de nombreux scientifiques visent à contrôler ces modifications, pour les empêcher. Ils les qualifient de biais. Ce faisant, ils peuvent penser la réalité comme un contenant, indépendant d’eux, dans lequel s’immerger. Or le chercheur ne fait pas « du terrain ». Il le construit. Ce dernier émerge de son activité. Il est un metteur en scène, en ce qu’il tente de rendre possible une mise en visibilité du monde.

Avec ces deux auteurs, je peux dire que la recherche a pour but de mettre en place des dispositifs qui permettront à la réalité d’être traduite, actualisée, constituée et ainsi, de se déplacer sur d’autres terrains, afin d’être appréhendée, de la même manière que la formation le fait avec « la réalité ».

Un écosystème de sites de construction

Introduire la notion

Si je regarde à l’échelle de ma trajectoire de recherche, je constate que « les formations sociales » ne sont pas une réalité à laquelle je me suis confronté seulement dans le cadre de ce que tout chercheur appellerait « mon terrain ».

Durant le doctorat, le travail de théorisation à partir de la sociologie de l’acteur-réseau m’a permis une première exploration des formations sociales à partir de mon salon. Par ailleurs, dans le cadre d’un groupe de réflexion sur les formations, dépendant du réseau des fabriques de sociologie, j’ai découvert l’univers des EFTS à travers l’expérience des participants, formateurs permanents ou universitaires. Tous connaissaient bien un des centres de formation dans lequel j’ai par la suite fait mon terrain et ce depuis de longues années. J’y ai découvert la formation dans son évolution, appréhendée par l’expérience et à travers une focale fortement critique. Elle apparaissait comme ce bien dévoyé par la baisse des moyens économiques, l’affaiblissement d’une approche pédagogique au détriment d’une logique gestionnaire, etc. L’enjeu du groupe était de mettre en réflexion ces éléments et d’envisager des perspectives de lutte.

Il en fut tout autrement de ma participation à un second groupe de réflexion, accueilli au sein d’une des institutions de formation où j’ai enquêté et qui portait pour objectif de partager des recherches et éléments théoriques portant sur la professionnalisation des travailleurs sociaux, afin de penser la formation sous l’angle principalement pédagogique.

De plus, j’ai travaillé, pendant une année et demi, sur un poste administratif dans la filière universitaire qui assurait plus de la moitié des heures de cours des étudiants ASS en deuxième et troisième années d’un centre de formation de la région, ainsi que les trois quarts de celles du Diplôme d’État d’Ingénierie Sociale. À partir de ce poste, j’ai pu regarder la fabrication des formations sociales d’un point de vue inédit par rapport au reste de mon travail de terrain dans les EFTS. Ces expériences, bien que non conçues comme « mon terrain », ont été des espaces‑temps où j’ai été en rapport avec les formations sociales, sur des modalités différentes à chaque fois et où, j’y ai construit une partie de ma recherche.

J’en viens à critiquer les termes suivants : théorie, problématique, terrain, enquête, résultats. Ces mots donnent l’impression de matériaux différents ou de phases successives, axées chacune sur une orientation particulière. Si ce mode de description est utile, pour ma part, je trouve intéressant de décrire le travail de recherche comme une écologie de sites. Par cette notion, je signifie que ma thèse se construit dans différents espaces‑temps, c’est‑à‑dire dans différents agencements de personnes et d’entités non‑humaines, portés par et portant différents enjeux et dynamiques relationnelles, ayant une certaine durée, et existant selon un certain rythme. Dans chacun de ces espaces‑temps, la réalité s’actualise d’une manière singulière, dépendante des caractéristiques du site, chacun produisant quelque chose de la thèse. Au cœur de ces espaces, ma recherche et les formations sociales existent et sont travaillées en fonction des contraintes et possibilités du site.

Dans le premier chapitre, j’ai essayé de proposer, à travers le motif du récit, un abaissement des cloisons entre les trois entités que sont la problématisation, le terrain et l’analyse. Par l’idée de sites de construction multiples participant à l’élaboration de la thèse, je continue sur cette lancée avec une notion qui permet de penser l’écologie d’une thèse de manière transversale – il n’y a que des sites et non, des phases de natures différentes –, tout en maintenant une distinction entre ces espaces‑temps afin de respecter leur singularité.

Établir les origines

Pascal Nicolas-Le Strat utilise la notion de « site de problématisation » qu’il emprunte à Callon, Lascoumes et Barthe, afin de définir le type de recherche qu’il prône dans le cadre du travail de production des communs. Il écrit à ce sujet :

« Ce travail de problématisation est donc toujours situé, précisément construit à un carrefour d’enjeux et d’acteurs. Il représente un lieu où une question d’intérêt commun est éprouvée et mise en risque. Il déplie et déploie alors nombre de questions. Un site de problématisation n’a rien d’évident, ni de naturel ; il se construit de l’intérieur et par l’intérieur de la société, en rencontrant fréquemment hostilité et défiance. Il peut rester indécis, voire se trouver complètement destitué par un rapport de force défavorable27. »

Cette notion lui permet d’inviter les chercheurs à ne pas se sentir seuls détenteurs du savoir face aux questions que soulève la construction du commun. Ils doivent accepter qu’elles soient posées et débattues collectivement, en croisant différents savoirs issus de différentes expertises. « Site de problématisation » désigne alors cet espace, construit, afin de travailler certaines questions. Le terme rejoint la dimension constituante de la recherche.

De leur côté, Callon, Lascoumes et Barthe s’intéressent à la manière dont des entités, objets de controverse (OGM, nucléaire, nanoparticules, etc.), sont problématisées par divers acteurs. À travers la notion de problématisation, ils considèrent, à la suite de Foucault, qu’en même temps que ces objets sont expérimentés, ils sont questionnés. À travers des interrogations de natures diverses (scientifiques, éthiques, politiques, etc.) qui leur sont adressées, ils se constituent sur différents modes d’existence. Ensuite, les auteurs soulignent que le processus de problématisation mobilise des épreuves qui contribuent, en retour, à les définir sur le plan de leurs enjeux et de leurs limites.

Ils développent l’exemple des OGM qui ont été constitués dans des instances scientifiques, des syndicats d’agriculteurs, des arrachages de plans transgéniques, etc. Étudier la problématisation implique de tenir compte de ces sites dans lesquels les entités sont fabriquées à travers les interrogations et les épreuves qui leurs sont adressées. Il n’est donc pas question de s’intéresser seulement aux contenus de la problématisation, mais de voir qui problématise, avec qui, où et avec quels outils et procédures.

Quelques pages plus loin, les auteurs écrivent sur ce qui s’est fait en France autour du SIDA et qui est, pour eux, un exemple de ce qu’ils défendent en matière de démocratie. Ils décrivent ce qui se joue à l’échelle de chaque site (des associations, des médias, les pouvoirs publics) en prenant soin de relever les particularités de ces espaces. Et ils s’intéressent aussi aux liens, débats, tractations, alliances, complémentarités qui se sont établis entre les sites, qui permettent la création et le maintien d’acteurs divers, avec une grande variété d’avis et de causes défendues, le tout participant à l’exploration d’un univers commun. Ce foisonnement de sites et les rapports qui se sont établis entre eux ont porté un travail démocratique où chacun, avec ses particularités et dans l’échange, a constitué l’entité « SIDA ». Ce qu’ils nomment « forum hybride » existe dans cet enchevêtrement.

Ils clôturent leur propos en retenant un principe méthodologique :

« Il ne s’agit pas tant, en faisant participer les groupes concernés, d’assurer le lien avec une hypothétique prise de décision que de contribuer à l’organisation d’un espace public permettant la constitution des sites de problématisation, leur foisonnement, et assurant notamment aux plus faibles et aux plus fragiles d’entre eux les moyens de leur survie et de leur développement, tout en facilitant l’organisation de la recherche collaborative, ainsi que les confrontations et les négociations sur la composition d’un monde commun28. »

Par ce biais, ils nous apprennent qu’étudier la problématisation et ses sites, c’est aussi prêter attention à ce qui se construit dans l’interaction entre ces différents espaces‑temps et que le fruit de ces rapports de force et de collaboration est le monde commun et ses processus de construction. Cette idée renforce le fait qu’il ne s’agit pas seulement de saisir le contenu des questionnements, mais bien de situer les différents sites, leur organisation interne, leurs processus et leurs procédures ainsi que les liens, alliances, guerres, débats qui les lient ou les délient. L’enjeu est la compréhension de « l’écologie située » d’une entité.

Penser une écologie

Les lectures de Bruno Latour et Pascal Nicolas-Le Strat amènent à prêter attention à ce qui se crée dans le dispositif d’enquête et aux chaînes de traduction. Quant à eux, Callon, Barthe et Lascoumes appellent à considérer une écologie de sites. Cette idée est inspirante pour penser ma recherche, même si elle n’a rien de commun avec le SIDA ou les OGM. Elle est une entité incertaine que je constitue en quelques années. Et si l’enjeu premier n’est pas qu’elle soit débattue en de multiples endroits, je la mets au travail en diverses occasions, certaines ponctuelles, d’autres qui s’établissent dans le temps, volontairement ou non. Chacune d’elles participe à la faire venir à l’existence selon des modalités différentes. Ainsi, tour à tour, à travers les sites, ma recherche existe comme expérience de vie, comme écriture, comme pratique théorique, comme analyse des formations sociales, comme construction de ma trajectoire professionnelle, etc.

Callon et ses collaborateurs apportent une précision dans l’analyse. Les forums hybrides sont parcourus par une tendance réticulaire et une tendance à la centralisation. La multiplicité des sites joue le jeu du rhizome, permettant différentes appréhensions des entités questionnées, alors que certains espaces travaillent particulièrement à la centralisation par le biais de décisions, d’une légitimité pour instituer, le rassemblement des acteurs, etc. De même, malgré son découpage en plusieurs sites, la production d’une thèse nécessite de construire des espaces pour centraliser le travail. Le moment de l’écriture, ainsi que celui de l’analyse, moments essentiellement solitaires, jouent ce rôle d’unification de cette pluralité d’existences de la recherche. L’écrit qui en résulte est un nouveau site, mettant en scène de manière unie des productions réalisées en de multiples endroits.

Pour conclure, la notion de sites de construction est une manière de théoriser la recherche. Plus fondamentalement, elle joue le rôle d’outil descripteur. Elle propose une manière de rendre compte. Un chercheur, qui se centrerait sur sa trajectoire ou ses représentations, dirait quelque chose de sa recherche, mais s’inscrirait dans un récit mettant en scène un scientifique face au monde. Le récit par les sites de construction permet de montrer dans quelles configurations le chercheur se met en relation avec le monde. Il étoffe la recherche de ses médiations29. Cela rappelle que la thèse ne s’élabore pas selon un processus uniforme et unique.

Aussi cette proposition fait bouger les lignes du « partage du sensible ». Elle permet de suspendre — ne serait‑ce qu’un temps — la distinction entre le terrain et la théorie, ou bien entre le noble terrain de la thèse et l’expérience de vie. Je peux envisager de présenter côte à côte ce qui se construit dans le cadre des temps d’observation participante pensés pour la thèse et ce qui se construit dans une correspondance où je socialise mon expérience d’enseignement. Je peux comparer ce que je construis dans mon fauteuil, un livre à la main, dans une discussion avec un collègue ou bien sur « le » terrain. La notion agit comme nouvel opérateur de description qui bouleverse les découpages normaux pour comparer des entités habituellement considérées comme radicalement différentes (la lecture et le terrain par exemple). Le chercheur est alors présenté comme un constructeur, un artisan qui agence ce qui provient de différents sites. L’enjeu principal est de savoir ce qui se fait dans tel espace, avec qui, selon quelles règles, selon quels processus, etc. La théorie, le terrain et l’analyse deviennent des produits de l’activité du chercheur et non des entités naturelles, a priori, du travail de recherche.

4Omar Zanna, « Un sociologue en prison », Nouvelle revue de psychosociologie, 2010, vol. 9, no 1, p. 149.

5Voir par exemple : Instruction interministérielle DGCS/SD4A/DGESIP no 2015-102 du 31 mars 2015 relative au nouveau cadre réglementaire de mise en œuvre de l’alternance intégrative pour les formations diplômantes du travail social.

6Jean Brichaux, « Vieillir sous le harnais de l’éducation spécialisée » dans L’éducateur d’une métaphore à l’autre, Ramonville Saint-Agne, Érès, 2004, p. 113‑125.

7F. Chobeaux, « Construire les professionnels par la pratique distanciée », art. cit. ; Mireille Cifali, « Une pensée affectée pour l’action professionnelle » dans Mireille Cifali et Florence Giust‑Desprairies (eds.), Formation clinique et travail de la pensée, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2008, p. 129‑147.

8Dans le cadre d’un cours magistral sur le genre, fondé sur Judith Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Paris, Éditions La Decouverte, 2005, 294 p.

9En clin d’œil, il est intéressant de se référer au numéro du Sociographe intitulé « Genre et travail social », preuve de l’existence de cette question sur le terrain. Et pourtant, son introduction est sous‑titrée « De la “théorie” à la pratique », offrant en quelques mots la tension que je tente de décrire : Monique Jeannet et Vincent Tournier, « Genre et travail social. De la “théorie” à la pratique », Le sociographe, 2015, no 49, p. 7.

10Bruno Latour, « Les objets ont-ils une histoire ? Rencontre de Pasteur et de Whitehead dans un bain d’acide lactique » dans Isabelle Stengers (ed.), L’effet Whitehead, Paris, Vrin, 1994, p. 196‑217.

11Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 2008, 483 p.

12Ici « terrain » est entendu dans son usage courant par les acteurs des centres de formation.

13Christelle Gramaglia et Delaine Sampaio da Silva, « Des mollusques pour “faire parler” les rivières ? » dans Sophie Houdard et Olivier Thiery (eds.), Humains, non-humains. Comment repeupler les sciences sociales, Paris, La Découverte, 2011, p. 221‑233.

14Bruno Latour, « Le “Pédofil” de Boa Vista – Montage photo-philosophique » dans Petites leçons de sociologie des sciences, Paris, La Découverte, 2007, p. 171‑225.

15Ibid., p. 213.

16Bruno Latour, Changer de société, refaire de la sociologie, Paris, La Découverte, 2007, p. 177‑202.

17B. Latour, « Le “Pédofil” de Boa Vista – Montage photo-philosophique », art. cit., p. 222‑223.

18Ibid., p. 223‑224.

19Le texte contient plusieurs photos montrant les différentes situations et activités qu’il décrit.

20Ibid., p. 224.

21Pascal Nicolas-Le Strat, Le travail du commun, Saint-Germain-sur-Ille, Éditions du commun, 2016, p. 23.

22Dubost J. et Lévy A. dans Pascal Nicolas-Le Strat, Une sociologie des activités créatives-intellectuelles, ibid., p. 263‑264.

23Pour plus de détails, la lecture du chapitre suivant est intéressante : Pascal Nicolas-Le Strat, « La portée constituante (instituante) d’une sociologie » dans ibid., p. 319‑330.

24Martine Bodineau, La fabrique d’une sociologie de l’intérieur : regard ethnométhodologique sur un parcours d’apprentissage, de recherche et d’action, Thèse de doctorat, Université Paris VIII, Saint‑Denis, 2017, p. 20.

25P. Nicolas-Le Strat, Une sociologie des activités créatives-intellectuelles, op. cit., p. 329.

26Bénédicte Champenois-Rousseau, « Arrêt sur image, ou comment l’échographie renouvelle les frontières de l’humanité » dans Sophie Houdard et Olivier Thiery (eds.), Humains, non-humains. Comment repeupler les sciences sociales, Paris, La Découverte, 2011, p. 49‑56.

27P. Nicolas-Le Strat, Le travail du commun, op. cit., p. 266.

28Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Éditions Points, 2014, p. 316.

29Antoine Hennion, « Une sociologie des attachements. D’une sociologie de la culture à une pragmatique de l’amateur », Sociétés, 2004, no 85, p. 9‑24.

Notes

Notes
1 Sur cette problématisation de la perturbation, ma première source d’inspiration est l’analyse institutionnelle et sa notion d’analyseur : Christine Gilon et Patrice Ville, Les arcanes du métier de socioanalyste institutionnel, Sainte-Gemme, Presses Universitaires de Sainte-Gemme, 2014, p. 97‑116.

Les sources secondaires sont la notion de breaching chez Garfinkel : Romain Louvel, « Ouvrir une brèche », Nouvelle revue de psychosociologie, 2011, vol. 2, no 12, p. 171‑184.

2 J’ai développé ces idées dans Sébastien Joffres, « Les sciences sociales au travail du commun. Le savant fait politique », Rusca TTSD, 2016, no 9, p. 94‑106.
3 Je dois cette piste de réflexion à une communication de Pierre‑Alain Guyot dans le cadre du séminaire Fabriques de sociologie à Montpellier. Il partait de l’idée que le terrain, dans les formations et la recherche, est envisagé comme un tout évident, toujours désigné au singulier. Il a alors tenté d’en montrer la complexité en « explosant/exposant » le terrain, en tant qu’entité constitué d’une multitude de lieux et de temporalités. Il n’est qu’un résumé, la compression d’une réalité multiple.

Par exemple, lorsqu’un stagiaire est « sur le terrain » en CHRS, dans un entretien avec un professionnel et un usager, la situation fait référence à différents lieux (la rue, l’institution, le centre de formation, etc.) et s’imbrique dans différentes temporalités (celle du stage, l’urgence de la situation, le rythme administratif, etc.).

Il mettait aussi en avant le fait que comprendre ce qui se passe sur le terrain demande de le « faire parler » : la réalité professionnelle ne se livre pas d’elle‑même.